36
Frank

Frank prit une douche éclair, enfila les vêtements qu’Hazel avait sortis – un tee-shirt vert olive sur un pantalon cargo beige… ah ouais ? –, attrapa son arc et son carquois de rechange et grimpa quatre à quatre l’escalier du grenier.

Celui-ci était plein à craquer d’armes anciennes. La famille de Frank en avait amassé suffisamment pour équiper une armée. Des boucliers, des javelots et des carquois garnis de flèches s’alignaient le long d’un mur – presque aussi nombreux qu’à l’arsenal du Camp Jupiter. Devant la fenêtre du fond, une baliste était montée et chargée, prête à servir. À la fenêtre du devant était placé un engin qui ressemblait à une mitrailleuse à plusieurs canons.

— Un lance-roquettes ? s’interrogea-t-il tout haut.

— Nan-nan, fit une voix dans le coin. Po’ de terre. Ella aime pas les po’ de terre.

La harpie s’était fait un nid entre deux malles-cabine. Elle était assise sur un tas de parchemins chinois et en lisait sept ou huit en même temps.

— Ella, demanda Frank, où sont les autres ?

— Le toit. (Elle leva les yeux, puis se remit à sa lecture, tantôt tournant des pages, tantôt lissant ses plumes.) Le toit-toit. Surveillance d’ogres. Ella aime pas les ogres. Po’ de terre.

— Pommes de terre ?

Frank fit pivoter la mitrailleuse et comprit : les huit canons étaient chargés de patates. Au pied de la mitrailleuse, il y avait un panier plein de munitions comestibles.

Il regarda par la fenêtre – cette même fenêtre d’où sa mère l’avait vu la fois où il avait rencontré l’ours. En bas, dans le jardin, les ogres allaient et venaient, se bousculaient les uns les autres, regardaient la maison en vitupérant et lançaient des boulets de canon qui explosaient en l’air.

— Ils ont des boulets de canon, lâcha Frank, et nous une mitrailleuse à patates.

— Féculents, commenta Ella d’un ton songeur. Les féculents c’est mauvais pour les ogres.

La maison trembla sous une nouvelle explosion. Frank devait monter sur le toit pour voir ce que devenaient Hazel et Percy, mais ça l’embêtait de laisser Ella toute seule.

Il s’accroupit à côté d’elle, mais pas trop près.

— Ella, tu es en danger, ici, avec les ogres. Nous allons bientôt prendre un avion pour l’Alaska. Tu veux venir avec nous ?

Ella gigota.

— Alaska. 1 717 854 km ² Mammifère de l’état : l’orignal.

Brusquement, elle passa au latin, que Frank parvint à suivre grâce aux cours qu’il avait pris au Camp Jupiter :

— « Dans le Grand Nord, au-delà des dieux, repose la couronne de la légion. Tombant des glaces, le fils de Neptune coulera. » (Elle s’interrompit et gratta sa tignasse rousse.) Hum. C’est brûlé. La suite est brûlée.

Frank avait du mal à respirer.

— Ella… c’était une prophétie ? Où as-tu lu ça ?

— Orignal, orignal, répondit Ella, qui savourait le mot. Orignal.

La maison trembla de nouveau. Une pluie de poussière tomba des poutres. Dehors, un ogre tonna :

— Frank Zhang, montre-toi !

— Nan-nan, dit Ella. Frank doit pas.

— Euh… ne bouge pas, d’accord ? lui intima Frank. Il faut que j’aille aider Hazel et Percy.

Il déplia l’échelle qui menait au toit.

 

— Bonjour, dit Percy d’un ton lugubre. Il fait beau, hein ?

Il était habillé comme la veille – un jean, son tee-shirt pourpre et sa veste en laine polaire – mais on voyait bien que tout avait été lavé. Il tenait son épée d’une main et un tuyau d’arrosage de l’autre. Comment ce tuyau d’arrosage avait-il fini sur le toit, Frank n’aurait su dire, mais chaque fois que les ogres projetaient un boulet de canon, Percy faisait venir un jet d’eau superpuissant et disloquait le boulet en plein air. Frank se souvint alors que sa famille descendait de Poséidon, elle aussi. Grand-mère avait dit que la maison avait déjà subi des attaques de monstres. Peut-être qu’ils avaient monté un tuyau d’arrosage sur le toit pour cette raison précise.

Hazel patrouillait sur le « balcon de la veuve », sorte de rambarde qui s’étendait entre les deux pignons du toit. Elle était si jolie que Frank sentit sa poitrine se serrer. Elle portait un jean, une veste blanc crème et un tee-shirt blanc qui mettait en valeur son teint chocolat chaud. Ses cheveux bouclés tombaient en cascade sur ses épaules. Lorsqu’elle s’approcha, Frank sentit une odeur de shampoing au jasmin.

Hazel serrait son épée dans sa main. Elle jeta un coup d’œil inquiet à Frank et lui demanda :

— Ça va, tu te sens bien ? Pourquoi tu souris ?

— Oh, euh… rien, dit-il avec effort. Merci pour le petit-déj’. Et pour les vêtements. Et… merci de ne pas me détester.

— Pourquoi je te détesterais ? rétorqua Hazel, l’air sidérée.

Frank se sentit rougir. Il aurait mieux fait de se taire, mais c’était trop tard. « Ne la laisse pas filer », avait dit sa grand-mère. « Dans la vie on a besoin de femmes fortes. »

— Ben… hier soir, bafouilla-t-il. Quand j’ai invoqué le squelette. J’ai eu l’impression… J’ai eu l’impression que tu trouvais… que j’étais… dégoûtant, quoi.

Hazel leva les sourcils, puis secoua la tête avec consternation.

— Frank, possible que j’aie été surprise. Possible que la créature m’ait fait peur. Mais dégoûtée ? L’assurance avec laquelle tu lui as donné tes ordres, ce calme… genre : « À propos, les mecs, j’ai un spartus invincible qui pourrait nous servir… » ça m’a scotchée. Je n’étais pas dégoûtée, Frank, j’étais impressionnée.

Frank se demanda s’il avait bien entendu.

— Tu étais impressionnée… par moi ?

Percy intervint en riant.

— Y avait de quoi, mec !

— Vraiment ? insista Frank.

— Vraiment, lui assura Hazel. Mais maintenant, on a d’autres problèmes à régler. D’accord ?

Elle désigna d’un geste l’armée d’ogres, qui s’enhardissaient et se rapprochaient de plus en plus de la maison.

Percy braqua le tuyau d’arrosage dans leur direction.

— J’ai encore un tour dans mon sac. Ta pelouse a un système d’arrosage. Je peux le faire exploser, ce qui créerait la pagaille, le problème étant que ça détruirait aussi la pression de l’eau. Sans pression, le tuyau ne servira plus à rien et ces boulets de canon cribleront la maison.

Les compliments d’Hazel tintaient encore aux oreilles de Frank, qui avait du mal à réfléchir. Des dizaines d’ogres occupaient sa pelouse, impatients de le réduire en morceaux, et Frank devait faire un effort pour ne pas sourire comme un bienheureux.

Hazel ne le détestait pas. Elle était impressionnée.

Il se força à se concentrer. Il se rappela ce que sa grand-mère lui avait dit sur la nature de son don, et sur le fait qu’il devait la laisser mourir ici.

« Tu as un rôle à jouer », avait dit Mars.

Frank n’arrivait pas à croire qu’il était la botte secrète de Junon, ni que cette grande Prophétie des Sept dépendait de lui. Par contre, Hazel et Percy comptaient sur lui. Il fallait qu’il fasse de son mieux.

Il repensa à cet étrange fragment de prophétie qu’avait récité Ella au grenier, sur le fils de Neptune qui coulait.

« Vous ne comprenez pas sa véritable valeur », leur avait dit Phinéas à Portland. Le vieillard aveugle croyait qu’en contrôlant Ella, il pouvait devenir roi.

Toutes ces pièces du puzzle s’agitaient dans l’esprit de Frank. Il avait l’impression que lorsqu’elles se mettraient enfin en place, elles formeraient un tableau qui ne lui plairait pas.

— J’ai un plan d’évasion, les gars, annonça-t-il, et il leur parla de l’avion qui attendait à l’aérodrome et de la lettre de sa grand-mère pour le pilote. C’est un ancien de la légion. Il nous aidera.

— Mais Arion n’est pas revenu, objecta Hazel. Et ta grand-mère ? On ne peut pas la laisser.

Frank ravala un sanglot.

— Peut-être… peut-être qu’Arion saura nous retrouver. Pour ma grand-mère… elle a été très claire. Elle a dit qu’elle se débrouillerait.

Ce n’était pas tout à fait ça, mais Frank n’arrivait pas à en dire plus.

— Il y a un autre problème, intervint Percy. Je ne supporte pas les voyages aériens. C’est dangereux pour un fils de Neptune.

— Tu vas devoir courir le risque, répondit Frank. Et moi aussi. À propos, toi et moi, on a un lien de parenté.

— Quoi ? !

Percy faillit tomber du toit.

Frank lui donna la version express :

— Périclyménos. Mon ancêtre du côté de ma mère. Argonaute. Petit-fils de Poséidon.

Hazel en resta bouche bée.

— Tu es un descendant de Neptune ? Frank, c’est…

— … du délire ? Ouais. Et puis il y a cette capacité qu’on est censés avoir dans ma famille. Mais je ne sais pas m’en servir. Si j’arrive pas à comprendre comment ça marche…

Une nouvelle acclamation monta du groupe de Lestrygons. Frank se rendit compte qu’ils le fixaient tous du regard, en pointant du doigt, agitant la main et riant. Ils avaient repéré leur petit déjeuner.

— Zhang ! hurlaient-ils. Zhang !

Hazel se rapprocha de lui.

— Ils n’arrêtent pas de faire ça, de crier ton nom. Tu sais pourquoi ?

— T’inquiète, dit Frank. Écoutez, il faut qu’on protège Ella et qu’on l’emmène avec nous.

— Bien sûr, répondit Hazel. Elle a besoin de notre aide, la pauvre.

— Non. Enfin, je veux dire oui, mais il n’y a pas que ça. Elle a récité une prophétie, au grenier. Je crois que ça parlait de notre quête.

Il n’avait pas envie d’annoncer à Percy la mauvaise nouvelle d’un fils de Neptune qui se noierait, mais il répéta les vers.

Percy contracta les mâchoires.

— Je ne vois pas comment un fils de Neptune pourrait couler, dit-il. Je peux respirer sous l’eau. Mais la couronne de la légion…

— … ce doit être l’aigle, acheva Hazel.

Percy hocha la tête.

— D’ailleurs, reprit-il, Ella a récité quelque chose qui ressemblait à ça, à Portland. Un vers de l’ancienne Grande Prophétie.

— Ah bon ? demanda Frank.

— Je t’expliquerai plus tard.

Percy décocha une salve d’eau avec son tuyau d’arrosage et dégomma un autre boulet de canon, qui explosa en flammes orange.

— Joli ! Joli ! crièrent les ogres en applaudissant.

— Le truc, reprit Frank, c’est qu’Ella se souvient d’absolument tout ce qu’elle lit. Elle a dit que cette page-là était brûlée, comme si elle avait lu un recueil de prophéties endommagé.

Hazel écarquilla les yeux.

— Un recueil aux pages brûlées ? Tu ne penses pas… mais c’est impossible !

— Les livres dont parlait Octave, au camp ? devina Percy.

— Les livres sibyllins perdus, qui contenaient tout le destin de Rome dans ses grandes lignes ! (Hazel laissa échapper un sifflement.) Si Ella en a lu un exemplaire et qu’elle l’a mémorisé…

— Alors c’est la harpie la plus précieuse qui soit au monde, termina Frank. Je comprends pourquoi Phinéas voulait la capturer.

— Frank Zhang ! cria un ogre depuis la pelouse. (Il était plus grand que les autres et, comme les porte-étendards romains, il portait une cape en peau de lion. Il avait aussi un bavoir en plastique autour du cou.) Descends, fils de Mars ! On t’attend. Viens, tu seras notre invité d’honneur !

Hazel agrippa le bras de Frank.

— Pourquoi ai-je l’impression qu’« invité d’honneur » veut dire « plat principal » pour eux ?

Frank ne répondit pas. Il aurait bien aimé que Mars soit encore là ; il avait besoin que quelqu’un le débarrasse de son trac d’un claquement de doigts.

Hazel croit en moi, pensa-t-il. Je peux y arriver.

Il se tourna vers Percy.

— Tu sais conduire ?

— Bien sûr. Pourquoi ?

— La voiture de Grand-mère est au garage. C’est une vieille Cadillac. C’est un vrai tank, cette bagnole. Si tu peux la faire démarrer…

— Il faut d’abord qu’on franchisse une bande d’ogres, remarqua Hazel.

— Je fais diversion avec le système d’arrosage ? proposa Percy.

— Exactement, dit Frank. Et je vais vous faire gagner le plus de temps possible. Passez prendre Ella et montez dans la voiture. J’essaie de vous retrouver au garage, mais ne m’attendez pas.

Percy fronça les sourcils.

— Frank…

— Donne-nous ta réponse, Frank Zhang ! hurla l’ogre. Descends et nous épargnerons les autres, tes amis et ta pauvre mamie. Nous ne voulons que toi !

— Ils mentent, bougonna Percy.

— Ouais, je sais, acquiesça Frank. Allez-y !

Percy et Hazel coururent à l’échelle.

Frank essaya de calmer les battements de son cœur. Il sourit et cria :

— Alors, les gars ! On a faim ?

Sous les acclamations des ogres, Frank se mit à arpenter le « balcon de la veuve » en agitant la main comme une rock-star.

Il tenta d’invoquer le pouvoir de sa famille. Il s’imagina changé en dragon cracheur de feu. Il se concentra, serra les poings et pensa si fort à des dragons que des gouttes de sueur perlèrent à son front. Il voulait fondre sur l’ennemi et le décimer. Ce serait vraiment très cool. Mais rien ne se passa. Il ne savait absolument pas comment se transformer. Il n’avait jamais vu de dragons en vrai. Il paniqua un bref instant et se dit que Grand-mère lui avait joué un tour cruel. Peut-être aussi qu’il avait mal compris. Peut-être que Frank était le seul membre de la famille à ne pas avoir hérité du don. Ce serait bien sa chance.

Les ogres perdaient patience. Leurs acclamations se muèrent en sifflets. Quelques Lestrygons brandirent des boulets de canon.

— Attendez ! hurla Frank. Vous ne voulez pas me carboniser, quand même ? Je n’aurais pas bon goût du tout.

— Descends ! On a faim !

Il était temps de passer au plan de secours. Dommage, Frank n’en avait pas.

— Vous me promettez d’épargner mes amis ? demanda-t-il. Vous le jurez sur le Styx ?

Les ogres rirent. L’un d’eux projeta un boulet de canon qui passa au ras de la tête de Frank et fit exploser le tuyau de cheminée. Par miracle, Frank ne fut pas blessé par la pluie d’éclats.

— Je suppose que ça veut dire non, marmonna-t-il, avant d’ajouter en criant : C’est bon ! Vous avez gagné ! Je descends. Attendez-moi en bas.

Les ogres l’acclamèrent tous, sauf leur chef à la cape en peau de lion, dont la bouche se tordit en grimace de méfiance. Frank n’aurait pas beaucoup de temps. Il descendit au grenier. Ella n’y était plus, et il espéra que ce soit bon signe. Ils l’avaient peut-être emmenée à la Cadillac. Il attrapa un carquois de flèches qui portait l’étiquette PROJECTILES DIVERS, de l’écriture soignée de sa mère. Puis il se rua vers la mitrailleuse.

Il la fit pivoter, visa le chef des ogres et appuya sur la détente. Huit pommes de terre propulsées à la vitesse grand V heurtèrent l’ogre en pleine poitrine et le projetèrent en arrière avec une telle force qu’il s’écrasa contre une pile de boulets de canon, lesquels explosèrent aussitôt. Un cratère fumant s’ouvrit dans le sol.

Visiblement, les féculents étaient mauvais pour les Lestrygons.

Le reste des ogres couraient en tous sens, en proie à la panique, et Frank les cribla de flèches. Certaines explosaient à l’impact, d’autres éclataient comme de la chevrotine et laissaient sur la peau des géants de nouveaux tatouages douloureux. Une flèche toucha un ogre et le transforma instantanément en rosier en pot.

Malheureusement, les ogres se rétablirent rapidement. Et se mirent à lancer des boulets de canon, par dizaines. La maison tout entière gémit sous l’impact. Frank courut dans l’escalier. Derrière lui, le grenier s’effondra. Les flammes et la fumée emplirent le palier du premier étage.

— Grand-mère ! cria-t-il.

Mais la chaleur était si forte qu’il ne put atteindre sa chambre. Il fonça au rez-de-chaussée en s’accrochant à la rampe. La maison tremblait et le plafond s’écroulait par grands blocs.

Le pied de l’escalier n’était plus qu’un cratère fumant. Frank le franchit d’un bond et gagna la cuisine en titubant. Suffoquant à cause des cendres et de la suie, il déboula dans le garage. Les phares de la Cadillac étaient allumés. Le moteur tournait et la porte du garage était en train de s’ouvrir.

— Monte ! hurla Percy.

Frank se jeta sur la banquette arrière, à côté d’Hazel. Ella était recroquevillée sur le siège passager, à l’avant. La tête entre les ailes, elle bougonnait : « Berk. Berk-berk-berk. »

Percy fit ronfler le moteur. Ils sortirent en flèche du garage avant que la porte soit entièrement ouverte, découpant dans le bois un trou en forme de Cadillac.

Les ogres se précipitèrent pour leur barrer le chemin, mais Percy hurla à pleins poumons et le système d’arrosage automatique explosa. Une centaine de geysers fusèrent du sol, emportant avec eux des mottes de terre, des tuyaux et des têtes d’arrosage très lourdes.

La Cadillac roulait à soixante à l’heure quand elle percuta le premier ogre, qui se désintégra sous le choc. Le temps que les autres surmontent le mouvement de panique, l’auto avait déjà parcouru près d’un kilomètre. Des boulets de canon explosèrent derrière eux sur la route.

Frank tourna la tête et vit la demeure familiale en proie aux flammes, ses murs qui s’écroulaient, les tourbillons de fumée qui montaient vers le ciel. Il aperçut une grande tache noire – une buse, peut-être – qui s’éloignait de l’incendie en décrivant un cercle dans le ciel. Son imagination lui jouait peut-être un tour, mais Frank crut l’avoir vue sortir de la fenêtre du premier étage.

— Grand-mère ? murmura-t-il.

Si impossible que cela paraisse, elle avait juré qu’elle mourrait à sa façon, et non aux mains des ogres. Frank espérait qu’elle avait dit vrai.

Ils roulaient dans la forêt, vers le nord.

— À peu près cinq kilomètres, dit Frank. On ne peut pas le rater !

Derrière eux, de nouvelles explosions ravageaient les arbres et des champignons de fumée bourgeonnaient dans le ciel.

— Ça court vite, un Lestrygon ? demanda Hazel.

— Évitons de le vérifier, dit Percy.

Le portail de l’aérodrome se dessina devant eux, à quelques centaines de mètres à peine. Un avion privé était à l’arrêt sur la piste. La passerelle était sortie.

La Cadillac passa sur un nid-de-poule et décolla. Frank se cogna la tête au plafond. Quand les roues retouchèrent le sol, Percy enfonça la pédale de freins et ils s’arrêtèrent en dérapant juste passé le portail.

Frank sortit et arma son arc.

— Allez à l’avion, ils arrivent !

Les Lestrygons gagnaient du terrain à une vitesse alarmante. La première rangée d’ogres déboula de la forêt et fonça vers l’aérodrome – ils n’étaient plus qu’à cinq cents mètres, quatre cents mètres…

Percy et Hazel firent sortir Ella de la voiture sans trop de peine, mais dès qu’elle vit l’avion, la harpie se mit à crier.

— Nan-nan ! glapit-elle. Voler avec des ailes ! Pas d’avion !

— Tout ira bien, promit Hazel. On te protégera !

Ella poussa un gémissement terrible, comme si on la brûlait vive.

Percy jeta les bras au ciel, exaspéré.

— Qu’est-ce qu’on fait ? On peut pas la forcer !

— Non, acquiesça Frank.

Les ogres n’étaient plus qu’à trois cents mètres.

— Elle est trop précieuse pour qu’on la laisse, intervint Hazel, qui grimaça aussitôt en se rendant compte de ce qu’elle venait de dire. Par les dieux, excuse-moi, Ella. Je ne vaux pas mieux que Phinéas. Tu es un être vivant, pas un trésor.

— Pas d’avion, pas d’avion, répéta Ella, en proie à des palpitations.

Les ogres n’étaient plus qu’à un jet de pierre.

Les yeux de Percy s’allumèrent.

— J’ai une idée, dit-il. Ella, pourrais-tu te cacher dans la forêt ? Te mettre à l’abri des ogres ?

— Cacher. À l’abri, acquiesça-t-elle. Cacher c’est bien pour les harpies. Ella est rapide. Et petite.

— D’accord, dit Percy. Mais reste dans ce secteur. Je t’enverrai un ami qui viendra te chercher et te conduira au Camp Jupiter.

Frank encocha une flèche à son arc.

— Un ami ?

Percy lui fit un geste de la main qui signifiait : « Je t’expliquerai plus tard. »

— Ella, ça te conviendrait ? Tu aimerais que mon ami t’emmène au Camp Jupiter et te montre où nous vivons ?

— Camp, marmonna Ella qui passa alors au latin : « La fille de la sagesse marche seule, la marque d’Athéna brûle à travers Rome. »

— Euh, d’accord, fit Percy. Ça a l’air important, ça, mais on en parlera plus tard. Tu seras en sécurité au camp. Et tu auras à manger, plus tous les livres que tu veux.

— Pas d’avion, insista Ella.

— Pas d’avion, acquiesça Percy.

— Ella va se cacher maintenant.

Et, en un clin d’œil, la harpie disparut – une flèche rousse qui se perdit entre les arbres.

— Elle va me manquer, dit Hazel avec une pointe de tristesse dans la voix.

— On la reverra, assura Percy, qui fronçait les sourcils, comme si ce dernier fragment de prophétie – le vers sur Athéna – le troublait.

Une explosion envoya voltiger le portail de l’aérodrome.

Frank fourra la lettre de sa grand-mère dans la main de Percy.

— Montre ça au pilote ! Montre-lui aussi la lettre de Reyna ! Il faut décoller tout de suite.

Percy hocha la tête et partit en courant vers l’avion, avec Hazel.

Frank s’abrita derrière la Cadillac et se mit à tirer sur les ogres. Il repéra le groupe le plus nombreux et décocha une flèche en forme de tulipe. Comme il l’avait espéré, c’était une hydre. Des cordes se déployèrent, telles les tentacules d’une pieuvre, et toute la première rangée d’ogres s’étala dans la poussière du chemin.

Frank entendit les moteurs de l’avion tourner.

Il décocha trois autres flèches le plus vite possible, creusant d’énormes cratères dans les rangs des ogres. Les survivants n’étaient plus qu’à une centaine de mètres et les plus malins d’entre eux, comprenant qu’ils étaient assez près pour lancer leurs boulets, s’arrêtèrent en titubant.

— Frank ! hurla Hazel. Dépêche-toi !

Un boulet de canon enflammé vola vers lui en traçant un arc de cercle. Frank vit tout de suite qu’il allait s’abattre sur l’avion. Il encocha une flèche. J’en suis capable, pensa-t-il. Il tira. Son projectile intercepta le boulet de canon, qui explosa en plein vol. Deux autres boulets fusèrent. Frank s’élança vers l’avion à toutes jambes.

Derrière lui, le métal de la Cadillac, dévoré par les flammes, hurlait.

Il s’engouffra à l’intérieur de l’avion alors même que la passerelle commençait à remonter.

Le pilote avait clairement cerné la situation. Il n’y eut ni annonce de sécurité, ni demande d’autorisation de décoller, ni boisson de bienvenue à bord. Il accéléra et l’avion fonça le long de la piste. Une autre explosion fracassa le tarmac derrière eux, mais ils étaient déjà en l’air.

Frank baissa les yeux. La piste était couverte de trous de gruyère fumants. De grandes portions du parc naturel de Lynn Canyon étaient en feu. À quelques kilomètres au sud, un bûcher couronné de flammes et de fumée noire était tout ce qu’il restait de la maison de famille des Zhang.

Frank était loin d’être impressionnant. Il n’avait pas su sauver sa grand-mère. Il n’avait pas su activer ses pouvoirs. Il n’avait même pas sauvé leur amie harpie. Lorsque Vancouver disparut sous les nuages, Frank s’enfouit le visage dans les mains et se mit à pleurer.

L’avion vira sur la gauche.

La voix du pilote annonça au haut-parleur :

— Senatus Populusque Romanus, mes amis. Bienvenue à bord. Prochain arrêt : Anchorage, en Alaska.

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